Les gobelins squatteurs de moulin

Ayant trouvé rapidement les renseignements qui lui permettraient de trouver sans faillir le seul et unique moulin communal de Chnafon, Zaeseth le perverti s'avançait hardiment sous un soleil de plomb et sur le petit chemin serpentant à flanc de colline qui menait tout droit au dit moulin lorsqu'il fut sommé d'arrêter sa progression par une créature aussi puante que laide, à la peau d'un vert immonde et sale... un gobelin. Vêtu d'une cotte de maille délabrée, armé d'une hallebarde émoussée et coiffé d'un casque de fer trop petit pour sa grosse tête, il était posté derrière une barrière de fortune faite de vieilles planches vermoulues et de branches mortes qui barrait le passage sur le chemin. Il clama d'une voix qui se voulait autoritaire :

« Alteuh ! On n' paspa ! Dou ke tu croa ke vous zallé comsa ?! »

Pour ajouter de l'ampleur à son intervention, il frappa la barrière de son arme puis la pointa en direction de Zaeseth.
Attendait-il une réponse, une réaction ou le déluge ? Difficile à dire...


Comment cette créature osait-elle stopper son avancée par des jérémiades à peine compréhensibles ? Son air confiant montrait indubitablement qu'elle n'avait pas reconnu la robe des Aspirants de Tziintch. Enfin bon, un manque flagrant d'intelligence expliquait sans doute ce comportement. Zaeseth ne tenait vraiment pas à parlementer avec une créature aussi futile : les gobelins, c'était bien pour gagner de l'expérience facilement, ainsi que quelques pièces d'or en revendant leur matériel miteux au marché.

L'elfe noir prévint tout de même le gobelin de sa mort rapide qui allait survenir dans quelques instants.

« Bien le bonjour, avez-vous déjà reçu une gifle donnée par un géant ? Non ? Eh bien je vais arranger ça. »

Immédiatement après, le mage se concentra et prononça l'incantation de la gifle de Namzar. Ce sort peu couteux en énergie astrale se montrait fort efficace sur les cibles isolées : la situation était parfaite. Le perverti espéra même que la mâchoire de la créature éclate, histoire d'assister à une giclure de sang vert...


Aie, aie, aie, aie, aie, aie... Le mage elfe noir était pourtant bien parvenu in extremis à lancer son sort mais par un concours de circonstances incompréhensibles, le gobelin ne fut pas affecté par la gifle de Namzar. En effet, ce dernier tenait toujours son poste derrière la barrière et semblait même plus menaçant que jamais. Il grognait et grinçait des dents, ses yeux jaunes toujours fixaient sur Zaeseth.

« Mé kes ta fé ? Ta pa jeté un sor sur moa kan mêm ? » demanda-t-il alors qu'il bondissait par-dessus la barricade pour se poster plus près encore de son interlocuteur. « Paske si ta fé sa, je vé te maravé ta face !!! » hurla-t-il de colère en brandissant sa hallebarde pourrie et la faisant mouliner au-dessus de sa tête. Pour autant, il n'attaqua pas immédiatement ce qui laissa le temps à Zaeseth de tenter une dernière chose avant l'affrontement brutal et le fracas de son crâne.


Cela en était presque rageant, rater un sort aussi simpliste face à un avorton comme ce gobelin. En même temps, c'était la première fois que Zaeseth lançait un sort face à un ennemi potentiellement mortel.

Le sorcier se ressaisit afin de ne pas laisser entrevoir qu'il venait de rater son enchantement. Le temps de réflexion d'une peau-verte n'étant pas exceptionnellement rapide, l'elfe noir espérait amener la confusion dans le lent esprit de la créature. Zaeseth en rajouta une petite couche:

« Mais non allons, je vous offre une tourte si vous voulez ? »

Le temps que le gobelin comprenne l'absurdité de la phrase, il serait sans doute mort. Le mage noir se concentra pour tenter de lancer le sortilège du Marteau de Jarmass, histoire de donner un bon coup de bâton sur la tête de cet abruti. Les mots de pouvoir furent énoncés, lourds d'intentions mortelles.


« Kes tu baragouine comsa ? » questionna le gobelin en faction en sautant sur Zaeseth. « Tu va la bouklé, oui ?! J'vé t'buté !!! »

Réagissant finalement comme il aurait du le faire depuis le début, le peau-verte attaqua l'elfe noir bien décidé à le fendre en deux dans le sens de la hauteur.
Une nouvelle fois, le sort lancé avait échoué et Zaeseth se trouvait désormais dans une situation extrêmement compliquée où il risquait déjà sa vie face à un sous-fifre gobelinoïde. Il n'avait plus qu'à espérer que ce dernier soit aussi maladroit que lui-même était malchanceux.

Le gobelin abattit son arme sur son adversaire mais le coup passa bien loin de sa cible et l'arme creusa un sillon dans l'herbe sèche du chemin, soulevant un nuage de terre poussiéreuse qui le fit tousser lorsqu'il reprit sa respiration. Zaeseth avait eu chaud mais la prochaine attaque pouvait se révéler mortelle s'il ne réagissait pas rapidement.

« Arète de boujé ! » vociféra le monstre vert vexé d'avoir manqué son coup.


Décidément, cela s'annonçait plutôt mal. Le corps à corps n'était vraiment pas la spécialité de Zaeseth, c'était même dans ces cas là qu'il était le plus fragile. En plus, il n'avait réussi à lancer aucun sort. Une révision urgente de ses livres s'imposait.

Profitant que le gobelin soit un peu essoufflé par son précédent coup et la poussière qui s'en était dégagé, le sorcier tenta d'utiliser le bas de son bâton pour effectuer une sorte de "revers" en direction des côtes de son adversaire. Avec un peu de chance, quelques côtes se briseraient pour la plus grande joie du mage noir.

L’elfe noir n’était clairement pas un guerrier dans l’âme : la façon dont il tenait son bâton ne correspondait pas à celle qu’il aurait du adopter pour porter un tel coup. Ses compétences en combat rapproché au bâton étaient plus que minimes, voire inexistantes. Ainsi, l’extrémité de son arme manqua lamentablement le gobelin, d’une bonne vingtaine de centimètres au bas mot. Emporté par son mouvement, Zaeseth constituait une proie facile, étant dans l’incapacité de parer la prochaine attaque de son adversaire. Le mage pesta intérieurement, regrettant déjà l’idée stupide qu’il avait eu d’attaquer au corps à corps sans aucune protection particulière. Des années d’études rigoureuses de la magie noire avait drastiquement affaibli le corps du cultiste de Tzinntch. Le moindre coup de hallebarde mal placé pouvait avoir des conséquences désastreuses. Ce n’était pas la fine épaisseur de tissu de sa robe des aspirants de Tzinntch qui allait changer grand-chose.

« T'va crevé ! » hurla le gobelin en levant l’extrémité de sa hallebarde vers le ciel avant de l’abattre sur Zaeseth.

Heureusement pour lui, les compétences au combat du monstre vert étaient tout aussi minables que les siennes. La faible corpulence du gobelin ne l’aidait pas à manier correctement son imposante arme. L’extrémité de la hallebarde passa à quelques centimètres du visage de l’elfe noir avant de s’enfoncer dans l’herbe haute qui bordait le chemin du moulin. Une colonie de fourmis rouges qui n’avaient rien demandé à personne fut ainsi brusquement coupée en deux. Des dizaines de minuscules galeries souterraines s’écroulèrent sur des centaines de fourmis ouvrières qui vaquaient à leurs occupations. Secouée par l’onde de choc, la reine émit sous la forme de phéromones tout un chapelet de jurons, que la décence m’interdit de traduire. Sachez simplement qu’il était question de relations de nature plus que douteuse entre des pucerons et les parents de cet objet métallique venu des cieux.

* C’est pas passé loin ! Quelques centimètres à côté et s’en était fini de ma quête de pouvoir occulte, s’en était fini tout court même ! *

L’Impur hésita un court instant quant à la démarche à adopter. Il pouvait conjurer un plastron de Tzinntch pour améliorer ses capacités défensives. Ce dernier prenait la forme d’une pièce d’armure magique d’un blanc fantomatique qui offrait une bien meilleure protection comparée à celle de sa robe d’aspirant. Ce sort avait pour avantage non négligeable de ne jamais échouer. Considérant ses deux échecs précédents, c’était … eh bien … clairement non négligeable. Il pouvait aussi adopter une approche plus agressive avec une flèche de feu noir de derrière les fagots. Ce sous-fifre gobelinoïde lui résistait ! C’était intolérable pour son ego de cultiste maléfique : le mage noir était sensé écraser sous sa botte de telles créatures inférieures grâce à sa toute puissante magie ! Il ne pouvait pas le supporter plus longtemps, aussi adopta-t-il cette dernière approche. D’un point de vue objectif, ce n’était pas la solution qui offrait les meilleures chances de survie, mais que voulez-vous, le sorcier avait un amour propre à défendre...