L'affaire Déheska

Nouvellement élu maire de Chnafon et fraichement paré de son nouveau costume, le sieur Tinal d'Abrens, puisqu'il s'était présenté de la sorte à son arrivée en ville, se rendit tout guilleret dans son bureau. Malheureusement, deux trouble-fêtes l'attendaient dans le hall de la mairie pour se faire enregistrer en tant que citoyens de sa belle cité et il dut se plier au protocole d'accueil bien qu'il n'en eut pas la moindre envie.
[Enregistrement Rakiroth et Zaeseth]
Finalement débarrassé des importuns et après avoir mis une danse au petit, moustachu et agaçant préposé aux enregistrements, il s'empressa de gravir l'escalier de pierre qui menait à son cabinet. Là, il entreprit de faire un peu de rangement. Autrement dit, il fourra tout ce qui se trouvait sur le bureau dans un sac et le balança par la fenêtre.

*Voilà une bonne chose de faite !*

Ensuite, voyant qu'un coup de balai ne serait pas du luxe, il fit appeler son secrétaire particulier afin que celui-ci convoque un loufiat susceptible de nettoyer la place avant qu'il ne choppe la gale.

- Ehooooo ! T'es là le gnome ?!

Sortant de derrière une porte que le nouveau (co)maire avait pris pour le placard à balai, arriva l'individu en question.

- Pas la peine de gueuler comme ça, mon bureau est dans le placard juste-là.

Effectivement, c'était bien un placard à balai...

- Qu'est-ce que vous me voulvoul ?
- Vous travaillez dans ce réduit ?
- Oui, et d'ailleurs, puisque vous le mentionnez, j'aimerais assez qu'on renégocie les termes de mon contrat de travail. Non, parce que niveau salaire c'est déjà pas la panacée mais si en plus je dois me taper la moitié de votre boulot enfermé dans 1m², je trouve que...
- Ouais, ouais, ouais, on verra ça plus tard, le nain.
- Je suis pas un nain, je suis un gn...
- Alors tu sais ce que tu vas faire ? Tu vas bien fermer ta bouille pour commencer et puis tu vas me chercher un larbin pour nettoyer ce merdier, d'un geste de la main, il engloba toute la pièce, et tu vas faire fissa, sinon tu vas y rester encore longtemps dans ton cagibi !
Non mais je vous jure, le petit personnel de nos jours c'est vraiment n'importe quoi ! poursuivit Tinal d'Abrens en allant s'asseoir dans le grand fauteuil derrière son bureau.

Le gnome sortit en grommelant face au peu de considération manifesté à son égard par la nouvelle autorité de Chnafon et revint quelques minutes plus tard accompagné d'une soubrette équipée d'un seau et d'une serpillère.

- Allez ! Au boulot, vociféra-t-il en sautillant au devant de la servante. Le petit personnel de nos jours c'est vraiment n'importe quoi !

La pauvresse s'attela à sa tâche sans sourciller et commença par astiquer le sol.

- Dis-moi, le lutin, as-tu des nouvelles de mon « collègue » barbare depuis l'élection ? s'informa Tinal d'Abrens.
- A vrai dire, mon seigneur, personne ne l'a vu depuis qu'il a quitté le bureau de vote.
- C'est vrai ?! C'est super génial ça... Euh. Oui, hum, bien. Préviens-moi immédiatement quand tu sauras quelque chose à ce sujet.

Intérieurement, l'arriviste Tinal d'Abrens, jubilait de cette nouvelle mais dut faire un effort pour ne pas trop exprimer sa joie en public.

* Parfait, parfait ! Tant que le lourdaud est paumé dans la nature, je suis seul maitre à bord ! Mouahahahahahaha ! Que c'est bon le pouvoir ! Mouahahahaha ! Mmmouaha... Hahaha. Hihi. Héhé. Hum. Oui, le pouvoir c'est bien joli mais je fais quoi, moi, maintenant ? *

- Attends, mon jeune ami de taille ridicule, avant de retourner moisir dans ton placard-bureau, je voudrais une petite précision : que suis-je sensé faire aujourd'hui ? Il y a un emploi du temps affiché quelque part ou je peux faire ce que je veux ?
- Mon seigneur, libre à vous mais... peut-être serait-il temps de mettre en place les mesures promises dans votre programme de campagne, non ?
- Tu as raison, Gaston !
- Mais je n...
- Ta gueule. Tu peux disposer...

Le gnome rentra, penaud, dans son placard en maugréant ce qui devait être une insulte.

* Euh... c'était quoi déjà mes promesses ?*

Derrière son bureau, affalé dans son fauteuil posté devant la fenêtre de la tour du château, Tinal d'Abrens resta songeur un moment. Finalement, il se leva d'un bond.

*Bon, on s'en fout ! De toute manière, y en a pas un qui les a écoutées. Je vais tenter un truc, on verra bien après... S'ils viennent se plaindre, il sera toujours temps de faire autre chose.*